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Traore Phénix Mensah

Inquiétude sur le développement de la filière du lait en Afrique de l'Ouest



Comment développer une filière lait en Afrique de l'Ouest avec des importations de poudre taxées à 5%? Ce qui suscite cette question est que, la vulnérabilité de la filière du lait en Afrique de l'Ouest s'est accentuée ces derniers mois car les stocks de lait en Europe ont encore augmenté, laissant présager d'une forte hausse des exportations de lait en poudre vers l'Afrique de l'Ouest.



L’Afrique de l’Ouest est est déjà fortement importatrice, la production et la productivité locale étant faibles et la filière faiblement protégée par rapport aux importations très compétitives. Les producteurs et productrices de lait issus de l’agriculture paysanne en Afrique de l'Ouest, font face à d’énormes obstacles. Malgré une hausse de la demande en produits laitiers, ils accèdent de façon inégale à leur marché, notamment en raison d'investissements insuffisants de l'État ou de la concurrence d'importations de lait en poudre bon marché en provenance d'Europe. Pourtant, les opportunités de changement dans la filière lait existent, et pourraient voir les paysans récolter une plus grande part des recettes de la production laitière.

À l'occasion d'un webinar organisé fin mai par Vétérinaires sans Frontières, avec Oxfam, SOS Faim et le Comité français pour la solidarité internationale, la CEDEAO a arrêté une politique régionale ambitieuse. Selon Bio Goura Soulé, assistant technique Elevage et pastoralisme à la CEDEAO, l'une des ambitions de la stratégie est de collecter à l'horizon 2030 l'équivalent de 25% du lait frais local produit en Afrique de l'Ouest contre 2% actuellement. La stratégie se veut aussi porter la capacité de production de quelque 5 milliards de litres aujourd'hui à 10 milliards d'ici 2030. Donc la collecte de 25% exige un effort titanesque d'investissement par les acteurs locaux et les Etats.

Un webinar qui a souligné comment, d'une part, la filière en Afrique de l'Ouest veut défendre sa filière locale, soutenue en cela par la campagne européenne "N'exportons pas nos problèmes", mais, d'autre part, le lait en poudre européen entre sur le marché ouest-africain avec un taux de douane de seulement 5%, difficile à concurrencer. La région de la Cedeao ne cesserait de repousser la réforme de cette fiscalité extérieure car elle subit des pressions de l'UE, a-t-il été souligné. "En principe, le tarif extérieur commun devait être révisé cette année, en 2020", a précisé encore Bio Goura Soulé. Un environnement complètement défavorable à la production locale de lait.

La production en Afrique de l'Ouest a été de 6 268 575 tonnes (t) en 2018 selon les dernières statistiques de la FAO, et la production croît d'année en année. L'espèce bovine prédomine parmi les races productrices de lait avec 57%, suivie des espèces caprine, ovines et camélines. Une production très concentrée géographiquement puisque les pays du Sahel fournissent 76% de la production régionale, avec en tête trois pays : le Mali, le Niger et la Mauritanie. Dans la région, le système laitier extensif est majoritaire et approvisionne à 70% la production ouest africaine, un système semi-intensif n'étant qu'en émergence tout comme la production péri-urbaine. Ceci dit, la production ouest-africaine ne représente que 1% de la production mondiale, l'ensemble de l'Afrique représentant 14% de celle-ci.

Quant à la consommation dans la Cedeao, elle est très faible, en moyenne de 23 kg/habitant/an, mais avec de fortes disparités puisque les populations sahéliennes en consomment environ 65 litres équivalent lait par personne et par an contre 5 à 7 litres dans les pays côtiers. Une demande en plein essor en raison de la croissance démographique, de la jeunesse de la population forte consommatrice de lait et de la hausse du pouvoir d'achat de la classe moyenne. Il y a des opportunités mais il y a aussi des menaces qui sont les importations laitières. Aujourd'hui, quand on prend les unités de transformation industrielle en Afrique de l'Ouest, on est dans une proportion de 7% de lait local et 95% de lait importé qui est transformé en produits laitiers. Donc on voit que ces importations ont des conséquences énormes tant au niveau des pays qu'au niveau de la filière et des producteurs. Ainsi donc, la nécessaire industrialisation de la collecte est imparable.

Si l'importation de lait en poudre comble le fossé entre la demande et la production à court terme, elle ne bénéficie pas aux exploitant-e-s paysan-ne-s, ni à l'économie au sens large, sur le long terme. Au lieu de cela, elle aggrave la dépendance alimentaire au niveau régional (avec une balance commerciale sur les denrées alimentaires déficitaire), générant une sortie d'argent vers les pays étrangers. Elle soulève également la problématique de la sécurité alimentaire, à la fois pour les producteurs laitiers issus de l’agriculture paysanne qui peinent à joindre les deux bouts et pour les pays qui, à l'échelle nationale/régionale, sont vulnérables à la volatilité du marché des matières premières et à la fluctuation des prix.

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SOURCE: www.commodafrica.com


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